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Dépenses électorales - Le PC s'est joué des règles
Au moins 42 candidats auraient artificiellement gonflé leurs dépenses
Ottawa -- Trois députés conservateurs du Québec ont vu leur caisse électorale être utilisée par leur parti pendant la dernière campagne électorale pour faire circuler de l'argent et ainsi toucher des remboursements plus copieux de la part d'Élections Canada. Mais le chien de garde du processus électoral a décelé le stratagème et refuse de payer.
Les trois députés en question sont Sylvie Boucher (Beauport-Limoilou), Christian Paradis (Mégantic-L'Érable) et Daniel Petit (Charlesbourg-Haute-Saint-Charles). M. Paradis est aussi secrétaire d'État à l'Agriculture, sorte de ministre junior.
Pendant la campagne électorale, le Parti conservateur a versé des sommes importantes à ses candidats locaux. Cet argent lui était ensuite retourné sous forme de paiements pour services publicitaires reçus de la part du parti. Cette façon de procéder offre deux avantages: d'abord, elle gonfle artificiellement les dépenses électorales des candidats. Ensuite, elle réduit sur papier celles du parti.
Plus les candidats dépensent, plus le remboursement qu'ils touchent est élevé, Élections Canada leur remettant 60 % de leurs dépenses admissibles dans la mesure où ils ont obtenu au moins 10 % des voix à l'élection. Quant aux formations politiques, elles sont soumises à un plafond de dépenses électorales, histoire que tout le monde joue à armes égales.
Jean Landry, le candidat conservateur défait dans Richmond-Arthabaska, lui aussi pris dans toute cette histoire, affirme que son parti ne lui a jamais fait de publicité en retour des 43 000 $ ayant ainsi circulé. «J'ai jamais rien vu à TVA ni TQS, ni dans les journaux locaux ou les journaux nationaux qui viennent à Victoriaville», confie-t-il au Devoir. «La publicité que j'ai eue, je l'ai payée moi-même.» Selon lui, il s'agit d'une malversation qu'il ne digère pas. «Ils ont fait cela pour se remplir les poches. Ils reprochent aux libéraux le scandale des commandites, mais regardez ce qu'ils font! Et c'est encore au Québec que ça se passe.»
Au total, au moins 42 candidats conservateurs sont visés par cette histoire, dont la moitié proviennent du Québec. «Les candidats n'ont pas réussi à convaincre le Directeur général des élections que ces dépenses ont été encourues dans le cadre des campagnes des candidats», explique-t-on à Élections Canada. En d'autres mots, contrairement à ce que prétend le Parti conservateur, les candidats n'ont pas reçu de leur parti des services publicitaires significatifs qui justifieraient des paiements de dizaines de milliers de dollars.
L'organisme fédéral a donc refusé de payer et les agents officiels de ces candidats (ils sont 37, certains représentant plus d'un candidat) ont entamé des procédures devant la Cour fédérale pour faire renverser la décision du DGE.
L'avocate d'Élections Canada a demandé hier que les noms des candidats conservateurs, représentés par leurs agents officiels, soient aussi mentionnés dans la poursuite. L'avocat des conservateurs a refusé. Le Devoir a toutefois passé la liste au peigne fin et pu découvrir le nom des trois élus québécois.
Ces coïncidences
Le cas de Daniel Petit illustre à merveille la mécanique du système. M. Petit n'a touché pendant la campagne que 225 $ en dons provenant de deux donateurs, mais le Fonds conservateur lui a versé 43 174,69 $ le 5 janvier. Quelques jours auparavant, il avait versé au Parti conservateur une somme presque identique (41 439,69 $) pour de la publicité. Outre cette somme, M. Petit a à peine dépensé 3000 $ pendant l'élection pour sa publicité locale diffusée dans Le Journal de Québec et CIMI radio.
Cette dépense a été jugée non admissible par Élections Canada, mais l'eût-elle été, M. Petit aurait empoché 25 000 $ de plus en fonds publics. Christian Paradis a pour sa part reçu 33 970 $ de son parti le 11 janvier, soit cinq jours avant le scrutin, et a retourné au Fonds conservateur du Canada la somme de 23 985 $ huit jours plus tard, encore là sous prétexte de dépenses de publicité.
Quant à Sylvie Boucher, elle a reçu de son parti, à la même date, une somme identique à celle de M. Petit. Dans ses dépenses, elle déclare un paiement à Telex, par prélèvement automatique, de 43 264,69 $. Ni Mme Boucher ni M. Petit n'ont retourné les appels du Devoir hier. Quant à M. Paradis, son porte-parole a fait savoir qu'il n'était pas disponible.
«Le Parti conservateur a l'obligation d'ouvrir ses livres», s'est insurgé le député libéral Dominic Leblanc. Du côté du Parti conservateur, on préfère minimiser l'importance de toute cette histoire, affirmant que tous les partis politiques effectuent de tels transferts de sommes. «Le parti national et les associations de circonscriptions respectent entièrement la loi», soutient le porte-parole Ryan Sparrow.
Dans son édition d'hier, le Ottawa Citizens rapportait les propos de trois candidats défaits qui ne se faisaient aucune illusion sur la raison d'être de tels transferts. «Le parti fédéral voulait faire passer certaines de ses dépenses sur le compte des candidats qui ne dépensaient pas tout ce que la loi leur permet», affirme Gary Caldwell, candidat défait dans Compton-Stanstead, ancien fief conservateur sous Jean Charest.
Si c'est le cas, alors le Parti conservateur s'est potentiellement placé en situation d'illégalité électorale. En effet, selon les calculs du Ottawa Citizens, les sommes invalidées par Élections Canada totalisent 1,05 million de dollars. Or, le Parti conservateur a, pendant la campagne, dépensé à peine 259 000 $ de moins que le maximum permis par la loi. Si ce million constitue plutôt des dépenses déguisées du Parti conservateur, alors il aura défoncé le plafond permis (18,2 millions de dollars) d'environ 700 000 $.
«Ce million de publicité supplémentaire peut-être en surplus de la limite permise, au cours des deux dernières semaines d'une campagne très serrée, a-t-il pu faire une différence? Évidemment», a lancé Dominic Leblanc.
Ce n'est pas la première fois que le Parti conservateur conteste l'interprétation que fait le DGE de la loi électorale. En décembre dernier, le PC a été obligé de modifier ses états financiers de 2005 pour inclure dans ses dons les frais payés par les participants à son congrès cette année-là, ce qu'il s'était toujours refusé de faire.
Ce stratagème n'est par ailleurs pas sans rappeler la technique du «in and out» mise de l'avant par le Bloc québécois il y a quelques années. Cette tactique visait aussi à gonfler artificiellement les dépenses des candidats pour obtenir un remboursement plus élevé. Les candidats payaient des employés du Bloc pour des services qui sont généralement offerts par des bénévoles, et ces employés retournaient ensuite l'argent sous forme de dons.
Ce genre de scandale politique fait passer les Libéraux pour des saint!
Le Bloc est bel et bien maintenant le seul parti propre au Québec !